"Retour amer sur terre…"
Où l’on ne révolutionne pas tellement la donne.
Où l’on ne révolutionne pas tellement la donne.
Novembre 1790. Partout en France, des paysans pleins d’espoir se pressent dans des salles de vente. Ils ne manqueraient pour rien au monde ces enchères qu’organise alors l’État, car elles pourraient changer leur vie. Comment ? En exauçant le rêve de leurs parents, grands-parents et ancêtres : devenir propriétaires des champs qu'ils cultivent !
Louis Le Nain, La Charrette, 1641, huile sur toile, 56 x 72 cm, Musée du Louvre, Paris
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Un an plus tôt, ces terres appartenaient au clergé, autrement dit aux évêques, abbés, ordres religieux, curés... Mais en novembre 1789, les députés ont voté la nationalisation de ces biens.
En clair, tout appartient désormais à l’État. Attention, on ne parle pas d’une bricole : l’Église était riche. Très riche, même ! Grâce à des siècles de dons de croyants, elle possédait un quart des propriétés agricoles et immobilières du pays.
Hélas, lorsque s'ouvrent les premières enchères, nos paysans passent du rêve à la désillusion la plus totale. Les lots mis en vente sont tous si grands qu’ils ne peuvent être acquis… que par les plus riches.
Caricature représentant le Tiers-État qui porte sur son dos le Clergé et la Noblesse : A faut esperer q'eu jeu la Finira ben tot ("Il faut espérer que le jeu se finira bientôt"), 1789, gravure colorisée, 19 x 14 cm, Musée Carnavalet, Paris
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Il aurait fallu les diviser, pour permettre à ceux qui possèdent les bourses les moins remplies de s’acheter quelque chose, mais c'est l’inverse qui a été fait. Les lots les plus petits, comme ceux détenus auparavant par des curés, ont été regroupés pour en obtenir un prix plus élevé.
Carl de Vinck, Michel Hennin, Le Pressoir, 1790, gravure colorisée, 14 x 23 cm, Bibliothèque nationale de France, Paris
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Et c'est là que se situe le cœur du problème : on ne vend pas ces terres pour les redistribuer plus équitablement, on les cède au plus offrant. Pour les députés, il en va de l'intérêt de la Nation !
Car un an plus tôt, quand les révolutionnaires ont mis leur nez dans les caisses de l’État, ils ont eu la mauvaise surprise de les trouver vides…
Anonyme, Prise de la Bastille et arrestation du gouverneur M. de Launay, le 14 juillet 1789, 1789, huile sur toile, 58 x 73 cm, Musée national du château de Versailles et de Trianon, Versailles
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Quelques "Robin des bois" s’opposent bien à ces ventes qui ne profitent qu'aux riches, mais sans succès. Parmi eux, l'abbé Sieyès, qui demandait l’abolition des privilèges dès 1788, dénonce une nouvelle forme de domination sociale.
La noblesse et le clergé sont remplacés par les gros propriétaires, mais ceux qui s’épuisent au travail sans rien y gagner restent encore et toujours les mêmes.
Voilà pourquoi la Révolution de 1789 n'est qu’une des révolutions françaises... Eh oui, le peuple va devoir se remettre en colère bien des fois pour obtenir un soupçon de progrès social.
Jacques-Louis David, Emmanuel Joseph Sieyès, 1817, huile sur toile, 98 x 74 cm, Harvard Art Museums
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